Dr Bruno Buecher Unité d’Oncogénétique Digestive Hôpital Européen Georges Pompidou et Institut Curie, Paris
La chirurgie « prophylactique » correspond à une chirurgie « préventive » qui a pour objectif de réaliser l’exérèse* d’un organe sain, ou en tout cas indemne de cancer, mais à haut risque de cancérisation. Ses indications sont très restreintes. Elle ne peut être discutée que pour des organes à haut, voire à très haut risque de dégénérescence, surtout en l’absence de stratégie de dépistage efficace disponible. La « lourdeur » de l’intervention chirurgicale, la fréquence des complications opératoires et l’importance des séquelles prévisibles, de même que la volonté et la préférence des patients sont également des éléments essentiels à prendre en compte dans la discussion des indications d’une telle chirurgie.
Une réflexion sur les indications de la chirurgie prophylactique chez les patients atteints d’un syndrome HNPCC/Lycnh a été récemment menée par un groupe d’experts mandatés par l’Institut National du Cancer (INCa). Les conclusions des experts sont résumées dans ce texte. Elles sont également disponibles en ligne sur le site web de cette institution (http://www.e-cancer.fr).
1 – Les risques tumoraux associés au syndrome de Lynch concernent principalement le côlon et le rectumainsi que l’utérus et à moindre degré les ovaires chez les femmes. La chirurgie prophylactique ne se discute donc que pour ces organes. Les risques concernant les autres organes (estomac, voies excrétrices urinaires, intestin grêle et voies biliaires notamment) sont encore mal évalués mais très faibles, de telle sorte que la chirurgie prophylactique n’a aucune place vis-à-vis de ces organes.
2 – Le risque élevé de cancer colorectal doit être « contre-balancé » par la grande efficacité du dépistage endoscopique selon les modalités rappelées par le Pr Cellier (coloscopie avec chromo-endoscopie à l’indigo carmin tous les 1 à 2 ans dès l’âge de 20 à 25 ans). L’identification et l’exérèse des polypes coliques permettent en effet de diminuer grandement le risque spontané. Dans ces conditions, il n’y a pas d’indication de chirurgie prophylactique colorectale chez les patients dont la coloscopie est normale ou n’a mis en évidence que des polypes dont l’exérèse est possible par voie endoscopique. Elle ne se discute donc qu’en cas d’indication chirurgicale pour cancer ou volumineux polype(s) non accessibles à une exérèse endoscopique. Dans une telle situation, l’exérèse de la totalité du côlon (on parle de colectomie totale ou sub-totale avec anastomose iléo-rectale) est considérée comme une alternative possible à l’exérèse classique, limitée à la portion de côlon porteur de la lésion (on parle de colectomie segmentaire). L’intérêt d’une chirurgie plus étendue (colectomie totale ou sub-totale) est essentiellement de faciliter la surveillance endoscopique ultérieure qui n’intéressera que le rectum et ne nécessitera plus ni anesthésie générale ni « purge » préalable. Il n’est en effet pas recommandé d’enlever le rectum car les séquelles d’une intervention enlevant le côlon et le rectum (on parle de colo-proctectomie avec anastomose iléo-anale) sont plus marquées que celles de la colectomie totale ou sub-totale (plus grand nombre de selles et de troubles digestifs).
3 – Les risques de cancer de l’utérus et surtout des ovaires sont moindres. Les modalités de la surveillance des femmes atteintes ont été rappelées par le Pr Lécuru (examen clinique et échographie pelvienne annuelle avec prélèvement endométrial à partir de l’âge de 30 ans). L’efficacité de cette stratégie de dépistage reste néanmoins incertaine ce qui peut conduire à envisager une chirurgie prophylactique, après accomplissement du projet parental, en particulier chez les femmes ménopausées. L’intervention, qui consiste en l’exérèse de l’utérus mais également des trompes et des ovaires, est appelée hystérectomie totale avec annexectomie bilatérale. Elle a l’inconvénient majeur d’induire une ménopause chez les femmes non ménopausées et ne doit donc pas être envisagée trop précocement. L’existence d’une pathologie bénigne utérine (fibromes hémorragiques par exemple) et/ou ovarienne (lésions kystiques) associée est également à prendre en compte dans la discussion des indications de chirurgie prophylactique gynécologique.
Pour conclure, il est important de rappeler que les chirurgies prophylactiques colorectale et gynécologique correspondent à des alternatives possibles dans la prise en charge des patients atteints d’un syndrome de Lynch/HNPCC et qu’il n’y a pas d’indication formelle.
Encore une fois, la volonté des patients, correctement informés des avantages et des inconvénients des différentes approches, est l’élément essentiel du processus décisionnel et toutes les indications de chirurgie prophylactique doivent faire l’objet d’une validation dans le cadre de réunions de concertations pluri-disciplinaires.
* exérèse : opération chirurgicale par laquelle on enlève un organe , une tumeur, un corps étranger