Dr Isabelle Mortemousque Service de Génétique -Hôpital Bretonneau CHRU de Tours (Tours 2010 & Fév 2011)
L’identification, dans une famille, d’un Syndrome de HNPCC/Lynch est maintenant fréquemment guidée par le résultat du phénotype RER étudié sur la pièce opératoire. Ce phénotype RER, également nommé phénotype MSI ou instabilité des microsatellites, est le reflet de l’effet de la mutation génétique sur certaines cellules de l’organisme.
Pour comprendre ce mécanisme, il faut se souvenir de plusieurs points importants :
– L’ensemble de notre patrimoine génétique (environ 30 000 gènes) est présent dans chacune de nos cellules. Nos gènes sont portés par la molécule d’ADN, qui peut être comparée à un filament de diamètre infiniment petit mais extrêmement long (en agrandissant ce filament avec le diamètre d’un cheveu, celui-ci atteindrait 8 km de long !!!)
– Tous nos gènes sont présent en 2 copies : une copie maternelle, une copie paternelle.
– Chaque gène peut être considéré comme une « recette de cuisine » qui permet à la cellule de fabriquer la protéine correspondante qui elle est active. L’ADN fonctionne avec un alphabet à 4 lettres : A, T, C, G. C’est la succession de ces lettres, dans un ordre bien précis (la séquence) qui caractérise un gène. Cette séquence est alors reconnue par la cellule qui peut fabriquer la protéine correspondante (si elle en a besoin pour son fonctionnement).
– Etre porteur d’une mutation génétique du syndrome de Lynch signifie que toutes nos cellules portent un défaut génétique sur 1 copie du gène (notamment nos cellules reproductrices – ovaires ou testicules – ce qui explique que cette mutation puisse être transmise à la descendance). L’autre copie du gène étant présente et normale, la protéine peut toutefois être fabriquée.
– Les organes à risque sont ciblés car l’impact de ce défaut génétique va se manifester au sein d’organes à renouvellement cellulaire rapide (colon et utérus préférentiellement).
– Nos cellules se renouvellent régulièrement et ce de façon physiologique ; quand une cellule meurt, une cellule voisine se divise pour rétablir le stock cellulaire. En se divisant, cette cellule doit recopier l’ensemble de son patrimoine génétique ; ce qui correspond à des milliards d’informations qui doivent être recopiées fidèlement, sans erreur, sans faute d’orthographe … Par comparaison, cette banque de données est assez grande pour remplir une encyclopédie de 900 volumes …
A chaque division cellulaire, la cellule « mère » dispose d’un dispositif complexe ayant pour but de recopier le patrimoine génétique complet (tous les gènes) afin de le transmettre à la cellule « fille ». Il paraît donc extrêmement difficile à la cellule d’assurer un recopiage fidèle et les « fautes d’orthographe » (ou erreurs de copie) sont fréquentes mais sont, pour la plupart, sans conséquence.
Rappelons-nous toutefois qu’un individu porteur d’un syndrome de Lynch est porteur d’un défaut génétique sur l’une des 2 copies d’un gène MMR (MLH1, MSH2, MSH6 ou PMS2), l’autre copie du gène étant normale. De par le renouvellement cellulaire incessant au sein des muqueuses notamment coliques et utérines, les fautes d’orthographes sont fréquentes lors des divisions cellulaires et peuvent concerner la copie normale du gène MMR impliqué. Dans ce dernier cas la cellule ne disposera plus de copie normale du gène impliqué et ne sera donc plus capable de fabriquer la protéine active correspondante.
Les protéines MMR, fabriquées à partir des gènes MMR, ont pour but de repérer les erreurs de copie lors du recopiage de l’ADN (les « fautes d’orthographes). Si ce système est défaillant, les erreurs de copie auront tendance à s’accumuler lors des divisions cellulaires successives. En effet, une cellule qui aura « perdu » les 2 copies du gène MMR impliqué, ne disposera plus du système de corrections des erreurs de copie. Cette cellule, en se divisant : – d’une part, transmettra, à la cellule fille, les 2 copies anormales du gène MMR, – et d’autre part, recopiera son ADN avec un nombre plus important d’erreurs de copie car le système de correction ne fonctionne pas correctement.
Le dysfonctionnement de ce système de correction des erreurs de copie a deux principales conséquences :
1) Une instabilité des microsatellites (ou phénotype RER ou MSI). Les microsatellites sont des portions de l’ADN caractérisées par des séquences répétées de nombreuses fois.
Prenons l’exemple d’un motif « CG » répété 10 fois pour un individu donné dans chacune de ces cellules : « CGCGCGCGCGCGCGCG ». Ces séquences répétées sont situées entre les gènes et n’ont pas, à priori, de rôle précis identifié ; mais ces séquences sont évidemment transmises lors des différentes divisions cellulaires. Les cellules ont cependant beaucoup de difficultés à recopier fidèlement ces motifs répétés avec une tendance à diminuer ou à augmenter le nombre de répétitions initiales. Les protéines MMR, quand elles fonctionnent correctement permettent de stabiliser le nombre de répétitions : 10 répétitions dans la cellule « mère » Þ 10 répétitions dans la cellule fille.
Quand le système MMR dysfonctionne (anomalie sur les 2 copies du gène), la cellule n’a plus la capacité de recopier fidèlement ces motifs répétés, il en découle une instabilité du nombre de répétitions de ces microsatellites lorsque l’on étudie plusieurs cellules (d’un polype ou d’un cancer colique) : 8 répétitions dans certaines cellules, 10 dans d’autres, 12, 14, 18, 20 ….
2) Une augmentation du risque d’apparition de pathologies cancéreuses par la multiplication des erreurs de copie qui peuvent se localiser sur des gènes impliquées dans la voie de la cancérogenèse.
Au total, le phénotype RER (ou phénotype MSI, ou instabilité des microsatellites) permet actuellement d’affiner le dépistage des situations personnelles ou familiales pouvant être évocatrices d’un syndrome de HNPCC/Lynch. Cette pathologie est donc secondaire à la présence d’un défaut sur l’une des deux copies du gène impliqué et le phénotype RER apparaît dans une cellule, ou plutôt un groupe de cellules qui ont, à la faveur des divisions cellulaires, « perdu » la copie normale du gène.
I. Mortemousque – Fév 2011