Dr Olivier Caron
Oncogénéticien, Hôpital Civil & Lab. de Génétique Faculté de Médecine – Strasbourg
Devant toute suspicion de maladie génétique ou de terrain de prédisposition permettant d’expliquer la maladie de son patient, tout médecin peut vous adresser en consultation de génétique. Dans le cadre des prédispositions au cancer, le patient est adressé dans un service d’oncogénétique. C’est évidemment le cas pour les suspicions de syndrome de Lynch, dénomination synonyme et préférée à HNPCC.
A quoi sert la consultation ?
Elle sert à évaluer la possibilité d’un terrain de prédisposition et, dans la mesure du possible, à l’identifier avec certitude.Lors de la consultation, le médecin oncogénéticien demande les informations concernant l’histoire médicale personnelle (les « antécédents ») et familiale, en privilégiant les antécédents de tumeurs. Il est donc recommandé de prendre les renseignements au préalable ou de rassembler ses souvenirs. Dans certains cas, le médecin est remplacé par un conseiller en génétique : c’est un professionnel de santé qui n’est pas médecin, mais qui a reçu une formation très poussée en génétique. Il travaille toujours sous la responsabilité et par délégation d’un généticien.
A partir des informations transmises, un arbre généalogique est élaboré. En fonction du nombre, des organes touchés par le cancer, et surtout des âges au moment où la tumeur a été découverte, la possibilité de l’existence d’un terrain de prédisposition est évaluée. Attention, on considère séparément les tumeurs de la branche familiale paternelle de celle de la branche maternelle : les patrimoines génétiques sont différents.
Le syndrome de Lynch est évoqué devant l’association dans une même branche familiale d’au moins deux cas de cancers du colon et/ou de l’endomètre chez des personnes apparentées au « premier degré » (frères, sœurs, père, mère, enfants). Un cas doit être diagnostiqué avant l’âge de 50 ans. Il s’agit d’une suspicion plus ou moins forte, en fonction du nombre et des âges au diagnostic des cancers.
Si la suspicion est forte, une surveillance est proposée à tous les apparentés proches (colon et endomètre). Une prise de sang est proposée à la recherche d’une anomalie dans l’un des gènes associés au syndrome de Lynch. Eventuellement, on demande qu’elle soit réalisée chez une autre personne. En effet, l’analyse initiale est menée chez la personne pour laquelle la probabilité d’identifier le terrain est la plus grande. Il s’agit de la personne qui a développé le cancer le plus jeune dans la famille. En règle générale, il est impossible à ce stade de proposer la prise de sang chez une personne qui n’a pas fait de cancer.
Quel est le rapport entre les gènes et le syndrome de Lynch ?
Notre « patrimoine génétique », véritable « plan » de construction et de fonctionnement de notre corps, est composé d’environ 30 000 gènes. Chaque personne possède globalement les mêmes gènes, mais, parfois, l’un d’eux comporte une anomalie qui empêche son utilisation : on parle de mutation.
Chacune de nos cellules a un cycle particulier : elle naît à partir d’une autre cellule, va remplir sa fonction dans notre organisme et, dans certains cas, va disparaître en se divisant pour donner naissance à deux cellules filles qui, à leur tour, accompliront le même cycle. Avant de se diviser, la cellule va recopier son patrimoine génétique. Irrémédiablement, elle va commettre des erreurs. Ceci en règle générale ne pose pas de problèmes : chaque cellule dispose d’un système de correction d’erreur. Cela évite de transmettre une anomalie qui empêcherait la cellule fille de fonctionner correctement.
Dans le syndrome de Lynch, c’est l’un de ces mécanismes de correction qui est défaillant. A cause d’une anomalie dans l’un ou l’autre des gènes composant ce dispositif, certaines erreurs ne sont pas corrigées. Plus le patrimoine génétique comporte d’erreurs, plus il en apparaît : elles surviennent donc en cascade. Petit à petit, au fil des générations de cellules, le risque de transformation en cancer va s’accroître chez la personne. Le cancer résulte en effet d’une perte de contrôle du patrimoine génétique.
Pour les cancers du colon, avant de se transformer en cancer, une cellule va passer par une étape intermédiaire : une tumeur bénigne que l’on appelle polype. Dans le cas particulier du syndrome de Lynch, la vitesse de transformation du polype en cancer va être très supérieure à celle du polype d’une personne sans prédisposition.
Egalement, des traces de l’absence d’efficacité du système de réparation peuvent être retrouvées dans le cancer. Lorsque le système est défaillant, on retrouve une « instabilité des marqueurs microsatellites », autrement appelée RER. Les marqueurs microsatellites sont des régions de notre patrimoine génétique dont la taille varie d’une personne à l’autre. S’il n’y a pas de réparation, la tumeur en recopiant ces régions va commettre des erreurs. Pour une région donnée, la taille va donc varier entre la tumeur et des cellules normales. La tumeur se trompant plusieurs fois, de nombreuses tailles sont présentes dans la tumeur. Cet examen, réalisé sur la pièce opératoire, est l’un des éléments majeurs à prendre en compte avant de faire la prise de sang en consultation d’oncogénétique.
A partir de la prise de sang réalisée, le laboratoire peut « lire » les quelques gènes associés au syndrome de Lynch, à la recherche d’une erreur. Analyser les gènes est un travail complexe et très long. Cela prendplusieurs mois avant d’avoir un résultat. Celui-ci ne peut être rendu qu’au cours d’une nouvelle consultation.
Deux situations peuvent alors se présenter :
Si aucune anomalie n’a été identifiée, on ne peut pas conclure qu’il n’existe pas de terrain prédisposant. En effet, il peut s’agir d’un autre gène encore inconnu.
Si une mutation est trouvée, le terrain est authentifié. Cela permettra de mieux prendre en charge la personne et surtout ses apparentés.
Que faire si le terrain n’est pas identifié ?
En fonction de l’histoire familiale, les mesures de surveillance sont maintenues, car on considère que le risque de développer un cancer chez eux est important. Ceci ne reste qu’une suspicion, mais l’on reste très prudent. C’est une situation inconfortable, puisqu’un certain nombre de personnes seront surveillées absolument pour rien. La surveillance des apparentés plus éloignés (petits enfants, cousins…) est également problématique et gérée au cas par cas.
Que faire si le terrain est identifié ?
Cela permet de déterminer dans la famille qui a hérité du terrain et qui n’en est pas porteur.
Le risque d’avoir hérité du terrain de prédisposition est 50% pour les enfants d’une personne porteuse.Lorsqu’une mutation est trouvée chez quelqu’un, on lui demande de faire passer l’information dans la famille. Il devient le « messager ». Légalement, c’est la seule personne habilitée à le faire. Les apparentés sont invités à venir en consultation d’oncogénétique, afin que des précisions leur soient apportées. S’ils sont demandeurs, un test génétique à la recherche du terrain familial leur sera proposé. Quelques semaines après, le résultat sera rendu au cours d’une nouvelle consultation. Ces tests ne peuvent être prescrits que par les oncogénéticiens qui travaillent en collaboration étroite avec des psychologues.
Si la personne a hérité du terrain : les mesures de surveillance seront maintenues. Il aura également 50% de risque d’avoir transmis la mutation à chacun de ses enfants. Il faut alors garder en mémoire que la génération suivante aura à faire la même démarche.
Si la personne n’a pas hérité du terrain . Elle n’a donc a priori pas de risques supplémentaires de développer un cancer : on la rassure et la surveillance n’est pas indiquée. Ceci permet également de rassurer ses enfants et tous ses descendants, puisque l’on ne peut transmettre quelque chose que l’on n’a pas reçu .
Il s’agit là d’une démarche volontaire. Si l’apparenté ne souhaite pas faire le test, il faut qu’il poursuive la surveillance comme s’il était porteur.
L’objectif de la consultation d’oncogénétique est d’apporter les conseils de surveillance les plus pertinents pour une personne et ses apparentés. L’identification du terrain de prédisposition apporte la possibilité d’adapter la surveillance au cas par cas, tout en rassurant une bonne partie de la famille.
Dr Olivier Caron – novembre 2007