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La chirurgie du côlon et du rectum dans le syndrome HNPCC/Lynch

Pr L de Calan, Service de chirurgie digestive, endocrinienne et de transplantation hépatique, Hôpital Trousseau, 37044 Tours cedex 9 (Tours Oct 2010)

La chirurgie du côlon et du rectum chez les patients ayant un syndrome HNPCC/Lynch soulève 3 questions : 1/ que faire en cas de cancer du côlon ? 2/ que faire en cas de cancer du rectum ? 3/ y-a-t’il une place pour la chirurgie préventive ?

1/ Que faire en cas de cancer du côlon ?

Le chirurgien doit enlever le côlon, faire ce que l’on appelle une colectomie emportant le cancer, mais il a le choix entre faire une colectomie segmentaire, conservant une partie du côlon, ou bien une colectomie totale. L’avantage de la colectomie totale est de prévenir le risque de survenue d’un second cancer colique. La colectomie segmentaire avec surveillance par coloscopie du côlon restant est une alternative raisonnable car l’efficacité de cette surveillance est démontrée pour prévenir la survenue d’un second cancer colique. Colectomie totale et segmentaire ont une mortalité postopératoire identique, entre 0,6 % et 3% suivant les études, et un taux de complications postopératoires identiques. Par contre, la colectomie segmentaire donne un meilleur résultat fonctionnel et une meilleure qualité de vie, même si les études dont nous disposons pour le démontrer ont un niveau de preuve assez faible.

En définitive, le choix entre colectomie segmentaire et totale doit être fait en concertation avec le patient, après l’avoir informé des risques et bénéfices des 2 techniques. Il faut également tenir compte de l’âge du patient, un patient jeune avec un cancer colique diagnostiqué précocement étant plutôt candidat à une colectomie totale. Dans les 2 cas, la surveillance par coloscopie du côlon et/ou du rectum restant est indispensable, ses modalités pratiques étant parfaitement définies dans les recommandations professionnelles.

La colectomie, segmentaire ou totale, doit-elle être faite par chirurgie conventionnelle (laparotomie) ou par cœlioscopie ? Le taux de complications chirurgicales des 2 techniques est identique mais la cœlioscopie donne moins de douleurs postopératoires, permet une reprise plus rapide du transit intestinal, aboutit à une durée d’hospitalisation plus courte. La cœlioscopie donne probablement moins d’adhérences postopératoires. Elle a enfin un avantage esthétique mais cet avantage, pour important qu’il soit, ne peut être un argument décisionnel majeur en matière de cancérologie.

2/ Que faire en cas de cancer du rectum ?


Il faut enlever le rectum, partiellement ou totalement, faire ce que l’on appelle une proctectomie. Deux questions se posent. La première est de savoir si le chirurgien peut ou non conserver l’anus. Si le chirurgien peut conserver l’anus, il fait une proctectomie avec un rétablissement du circuit intestinal, une anastomose, généralement protégée par une stomie ou anus artificiel temporaire que l’on supprime quelques semaines plus tard. S’il ne peut pas conserver l’anus, il fait une proctectomie avec un anus artificiel définitif. La 2ème question, que l’on conserve ou non l’anus, est de savoir s’il faut associer à la proctectomie une colectomie totale afin de prévenir le risque d’un cancer colique ultérieur.

La décision de conserver ou non l’anus repose sur le respect des règles carcinologiques de la proctectomie pour cancer du rectum avec la nécessité d’avoir une marge de section sous la tumeur d’au moins 1 centimètre. La décision de faire une colectomie totale associée à la proctectomie doit être mise en balance avec la surveillance par coloscopie du côlon restant dont l’efficacité est démontrée, comme cela a déjà été dit à propos de cancer du côlon.

Si la conservation de l’anus est possible, le choix se fait entre proctectomie avec anastomose colo-anale avec réservoir et coloproctectomie totale avec anastomose iléo-anale avec réservoir. Les 2 interventions ont une mortalité postopératoire identique, environ 2%, et un taux de complications postopératoires identique. Par contre, l’anastomose colo-anale donne un meilleur résultat fonctionnel avec, en particulier, un nombre de selles/24 h moins élevé. En définitive, le choix entre les 2 interventions doit être fait en concertation avec le patient, après l’avoir informé des risques et bénéfices des 2 techniques. Il faut également tenir compte de l’âge du patient, un patient jeune avec un cancer rectal diagnostiqué précocement étant plutôt candidat à une coloproctectomie totale avec anastomose iléo-anale avec réservoir.

Si la conservation de l’anus n’est pas possible, le choix se fait entre proctectomie avec ablation de l’anus et colostomie définitive et coloproctectomie totale avec ablation de l’anus et iléostomie définitive. Le choix entre les 2 interventions doit être fait en concertation avec le patient mais il faut privilégier la première intervention car il y a moins de séquelles fonctionnelles après colostomie définitive qu’après iléostomie définitive.

La chirurgie du cancer du rectum peut-elle être faite par cœlioscopie ? La réponse est oui car la cœlioscopie a les mêmes avantages que pour la chirurgie du cancer du côlon, que l’on conserve ou non l’anus, que l’on fasse ou non une colectomie totale, Elle est cependant techniquement plus difficile que pour la chirurgie du côlon et demande une bonne expertise chirurgicale.

3/ Y-a-t’il une place pour la chirurgie préventive du côlon et du rectum ?

La réponse est non. Il n’y a pas d’indication à faire une colectomie ou une proctectomie préventive chez un patient ayant un syndrome HNPCC/Lynch et indemne de tout cancer du côlon et du rectum. Il peut y avoir de très rares exceptions chez des patients où la surveillance par coloscopie n’est techniquement pas possible du fait d’un côlon trop long et trop large (mégadolichocôlon) ou du fait de l’existence d’une diverticulose colique sévère.
Bibliographie B Buecher, S Kirzin, M Karaoui, Y Ansquer, Y Parc. Chirurgie prophylactique dans le cadre du syndrome HNPCC/Lynch. Recommandations professionnelles. Chirurgie prophylactique des cancers avec prédisposition génétique. Institut National de Cancer, décembre 2009. (www.e-cancer.fr)

Loik de Calan – Fév 2011

Les indications de la chirurgie « prophylactique » dans le contexte du syndrome de Lynch/HNPCC

Dr Bruno Buecher Unité d’Oncogénétique Digestive Hôpital Européen Georges Pompidou et Institut Curie, Paris

La chirurgie « prophylactique » correspond à une chirurgie « préventive » qui a pour objectif de réaliser l’exérèse* d’un organe sain, ou en tout cas indemne de cancer, mais à haut risque de cancérisation. Ses indications sont très restreintes. Elle ne peut être discutée que pour des organes à haut, voire à très haut risque de dégénérescence, surtout en l’absence de stratégie de dépistage efficace disponible. La « lourdeur » de l’intervention chirurgicale, la fréquence des complications opératoires et l’importance des séquelles prévisibles, de même que la volonté et la préférence des patients sont également des éléments essentiels à prendre en compte dans la discussion des indications d’une telle chirurgie.

Une réflexion sur les indications de la chirurgie prophylactique chez les patients atteints d’un syndrome HNPCC/Lycnh a été récemment menée par un groupe d’experts mandatés par l’Institut National du Cancer (INCa). Les conclusions des experts sont résumées dans ce texte. Elles sont également disponibles en ligne sur le site web de cette institution (http://www.e-cancer.fr).

1 – Les risques tumoraux associés au syndrome de Lynch concernent principalement le côlon et le rectumainsi que l’utérus et à moindre degré les ovaires chez les femmes. La chirurgie prophylactique ne se discute donc que pour ces organes. Les risques concernant les autres organes (estomac, voies excrétrices urinaires, intestin grêle et voies biliaires notamment) sont encore mal évalués mais très faibles, de telle sorte que la chirurgie prophylactique n’a aucune place vis-à-vis de ces organes.

2 – Le risque élevé de cancer colorectal doit être « contre-balancé » par la grande efficacité du dépistage endoscopique selon les modalités rappelées par le Pr Cellier (coloscopie avec chromo-endoscopie à l’indigo carmin tous les 1 à 2 ans dès l’âge de 20 à 25 ans). L’identification et l’exérèse des polypes coliques permettent en effet de diminuer grandement le risque spontané. Dans ces conditions, il n’y a pas d’indication de chirurgie prophylactique colorectale chez les patients dont la coloscopie est normale ou n’a mis en évidence que des polypes dont l’exérèse est possible par voie endoscopique. Elle ne se discute donc qu’en cas d’indication chirurgicale pour cancer ou volumineux polype(s) non accessibles à une exérèse endoscopique. Dans une telle situation, l’exérèse de la totalité du côlon (on parle de colectomie totale ou sub-totale avec anastomose iléo-rectale) est considérée comme une alternative possible à l’exérèse classique, limitée à la portion de côlon porteur de la lésion (on parle de colectomie segmentaire). L’intérêt d’une chirurgie plus étendue (colectomie totale ou sub-totale) est essentiellement de faciliter la surveillance endoscopique ultérieure qui n’intéressera que le rectum et ne nécessitera plus ni anesthésie générale ni « purge » préalable. Il n’est en effet pas recommandé d’enlever le rectum car les séquelles d’une intervention enlevant le côlon et le rectum (on parle de colo-proctectomie avec anastomose iléo-anale) sont plus marquées que celles de la colectomie totale ou sub-totale (plus grand nombre de selles et de troubles digestifs).

3 – Les risques de cancer de l’utérus et surtout des ovaires sont moindres. Les modalités de la surveillance des femmes atteintes ont été rappelées par le Pr Lécuru (examen clinique et échographie pelvienne annuelle avec prélèvement endométrial à partir de l’âge de 30 ans). L’efficacité de cette stratégie de dépistage reste néanmoins incertaine ce qui peut conduire à envisager une chirurgie prophylactique, après accomplissement du projet parental, en particulier chez les femmes ménopausées. L’intervention, qui consiste en l’exérèse de l’utérus mais également des trompes et des ovaires, est appelée hystérectomie totale avec annexectomie bilatérale. Elle a l’inconvénient majeur d’induire une ménopause chez les femmes non ménopausées et ne doit donc pas être envisagée trop précocement. L’existence d’une pathologie bénigne utérine (fibromes hémorragiques par exemple) et/ou ovarienne (lésions kystiques) associée est également à prendre en compte dans la discussion des indications de chirurgie prophylactique gynécologique.

Pour conclure, il est important de rappeler que les chirurgies prophylactiques colorectale et gynécologique correspondent à des alternatives possibles dans la prise en charge des patients atteints d’un syndrome de Lynch/HNPCC et qu’il n’y a pas d’indication formelle.

Encore une fois, la volonté des patients, correctement informés des avantages et des inconvénients des différentes approches, est l’élément essentiel du processus décisionnel et toutes les indications de chirurgie prophylactique doivent faire l’objet d’une validation dans le cadre de réunions de concertations pluri-disciplinaires.

* exérèse : opération chirurgicale par laquelle on enlève un organe , une tumeur, un corps étranger